Lettre de Mgr Mounir Khairallah, évêque de Batroun
Cher Père Sylvain,
Cher frère dans le Christ,
Merci pour votre message d’amitié et de proximité; merci aussi pour vos prières et celles des amis de Saint-Étienne. Saint Charbel, que nous avons célébré au Liban comme vous l’avez fait à Saint-Étienne, nous invite à garder confiance totale en la Providence et en Celui qui nous aime et guide nos pas dans le sillage de son fils Jésus Christ en portant la croix jusqu’à la mort à nous-mêmes et la résurrection qui suivra.
La situation du Liban est critique et même “très grave” comme a dit le ministre français des Affaires étrangères M. Jean-Yves le Drian en visite officielle au Liban (22-24 juillet 2020).
La classe politique fait la sourde oreille à tous les appels aux réformes devenues urgentes pour sortir le Liban du gouffre ! Les responsables politiques se jettent mutuellement la responsabilité de l’effondrement mais ne s’activent pas à y remédier. M. Le Drian est rentré bouleversé. La situation ne va pas s’améliorer pour bientôt; et les conflits régionaux et internationaux (attisés par la recrudescence des provocations entre les Etats-Unis et l’Iran) n’arrangent pas les choses.
Au cœur de cette tourmente le Patriarche Cardinal Béchara Raï a haussé le ton ; il est d’ailleurs le seul à oser s’adresser aux responsables politiques en toute liberté pour les réprimander et leur demander des comptes. Dans son homélie du 5 juillet, il dresse le bilan de la situation et lance un appel en trois points et préconise la feuille de route pour construire le Liban de demain qui se résume dans la proclamation de la Neutralité du Liban, une neutralité active et engagée, précise-t-il :
« La pire chose dont nous sommes témoins aujourd’hui chez nous, est que la plupart de ceux qui s’occupent des affaires politiques ne se préoccupent que de leurs propres bénéfices et de leurs intérêts ; par ailleurs, ils sapent la confiance placée en des tiers, en condamnant ceux qui sont aux commandes des institutions constitutionnelles. Plus préjudiciable encore, ils s’efforcent d’être fidèles non pas au Liban, mais à leurs bases populaires et à leurs propres partis. Ils privent ainsi le Liban de la confiance de l’opinion positive des peuples et des gouvernements arabes et internationaux, malgré la conviction de ces derniers de l’importance du Liban, de son rôle, des potentialités et des capacités de son peuple.
Il semble que ces politiciens veulent camoufler leur responsabilité d’avoir vidé les caisses de l’État, et de n’avoir pas entrepris la réforme des structures étatiques demandée par les pays réunis lors de la conférence de Paris, dite « CEDRE », en avril 2018. Au contraire, ils se sont mis d’accord pour se partager les bénéfices et se répartir des gains, au détriment du bien public. Le niveau de pauvreté, de chômage, de corruption et de dette publique n’a cessé d’augmenter, jusqu’à l’explosion de la révolution populaire du 17 octobre 2019…
La situation dans laquelle nous sommes nous a conduits à lancer cet appel :
1- Nous appelons son excellence le président de la République à œuvrer pour lever l’embargo contre la légalité et la libre décision nationale.
2- Nous demandons aux pays amis de se précipiter au chevet du Liban comme ils l’ont fait chaque fois qu’il était en danger.
3- Nous nous tournons vers l’ONU pour qu’elle œuvre à rétablir l’indépendance et l’unité du Liban, à appliquer les résolutions internationales et à déclarer sa neutralité. La neutralité du Liban est la garantie de son unité et de sa position historique dans cette étape de changements géographiques et constitutionnels. La neutralité du Liban est sa force et la garantie de son rôle, aussi bien de stabilisation de la région et de la défense des droits des États arabes au service de la cause de la paix, que dans les relations saines entre les pays du Moyen-Orient d’une part, et l’Europe d’autre part, en raison de sa situation géographique, en bordure de la Méditerranée… ».
Cependant, nous gardons forte notre espérance qu’un jour le Liban revivra dans son rôle de pays oasis de rencontre culturelle, religieuse et politique entre l’Orient et l’Occident et dans son message du vivre ensemble. Notre histoire, qui a connu de conflits beaucoup plus graves, nous permet d’espérer en un avenir meilleur qui naîtra après un enfantement difficile.
Entre temps, il faudra supporter la crise sociale, économique et monétaire qui a des conséquences catastrophiques sur la population, notamment les jeunes : la dépréciation inédite de la monnaie, la flambée des prix, les licenciements à grandes échelles et les restrictions bancaires sur les retraits et transferts à l’étranger. Près de la moitié de la population active est au chômage. Ceci en plus du poids insupportable de l’accueil d’un million de réfugiés syriens et d’un demi-million de réfugiés palestiniens.
Que pouvez-vous faire ?
Priez pour nous et avec nous pour que le Seigneur nous donne la force de résister, par l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie et nos saints.
Nous aussi à Batroun, nous vous portons dans nos prières et nous espérons de reprendre bientôt nos liens de jumelage.
Le 28 juillet 2020
+ Père Mounir Khairallah, évêque de Batroun
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