La nuit du Liban
« Oh la la ! toutes ces lumières… et dire que chez nous il n’y a plus d’éclairage public, nulle part ! ».
Cette exclamation du Père Mounir alors que nous abordions le tunnel du Rond Point à St Etienne m’a touché. Oui, le Liban est dans la nuit, une nuit profonde que nous avons beaucoup de peine à imaginer…
Il n’y a plus de « lumière » au Liban parce que le service public de l’électricité ne fournit qu’une heure par jour de courant… après, chacun se débrouille avec des générateurs privés ou collectifs, mais cela coûte une fortune. L’état est défaillant dans ses missions essentielles. Les fonctionnaires ne sont plus ou mal payés du fait de la dévaluation de la livre libanaise. 82% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Beaucoup de familles sont tombées dans la misère, à cause de l’incurie des responsables politiques. En deux ans le nombre de familles soutenues par le diocèse de Batroun a été multiplié par 10, passant de 250 à 2300.
Il n’y a plus de « lumière » au Liban, pour éclairer l’avenir immédiat des jeunes et des familles confrontés à un blocage incompréhensible des instances gouvernementales. Un mouvement de la société civile commencé en Octobre 2019 avait suscité une grande espérance. Il demandait un changement radical dans l’organisation de la gouvernance du Liban et un remplacement des dirigeants corrompus. Il n’a pas été entendu ! Cette impasse politique a éclaté au grand jour avec l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, faisant plus de 200 morts et des dizaines de milliers de sans abris ! Depuis, l’enquête sur les responsabilités de cette catastrophe est bloquée. La reconstruction n’a pas vraiment commencé. La capitale libanaise est toujours gravement défigurée.
Il n’y a plus de « lumière » au Liban pour espérer un avenir dans un pays dont toutes les structures sociales, économiques, financières sont effondrées. C’est le règne des mafias, de la débrouille et de tous les trafics pour survivre ! L’état s’est littéralement effacé et la corruption règne partout. Alors, on le comprend, l’hémorragie des élites et des cadres s’accélère. Plus de 150 000 personnes, ont quitté le Liban ces trois derniers mois ! Ce sont des médecins, des infirmières, des ingénieurs, des enseignants qui quittent leur pays la mort dans l’âme, désespérés des élites libanaises, cherchant, ailleurs un avenir pour leurs enfants.
Pourtant, dans cette nuit profonde, une lumière têtue résiste, celle de la foi. Elle continue d’animer les hommes et les femmes des Églises chrétiennes du Liban. Un important travail a eu lieu entre responsables pour penser l’avenir du Liban après la sortie de crise. « Quel Liban voulons-nous ? » Sur cette question délicate, des spécialistes ont repensé les fondements de l’état libanais à la base du « vivre ensemble » des 18 communautés différentes qui composent ce petit pays. Seul un état « civil » fort, pourra permettre que subsiste cette coexistence qui fait du Liban, un « pays message » selon le mot de Jean Paul II. Cet état ne doit pas dépendre d’une communauté ou d’une puissance étrangère, d’un seul parti, mais du consensus de l’ensemble, accepté et voulu par toutes les composantes de ce pays !
La lumière de la foi vient aussi de la solidarité inventive et active des libanais entre eux et aussi des réseaux des libanais de l’extérieur. L’effondrement du Liban serait bien plus dramatique sans ce soutien direct des familles avec leurs parents établis à l’étranger, en France, au Canada, en Australie, mais aussi dans les pays du Golfe.
Cette solidarité active, le diocèse de St Etienne la vit sur le plan spirituel dans le cadre du jumelage… célébration tous les 4 du mois en solidarité avec le peuple libanais, prière aussi les mardis et de nombreuses initiatives individuelles mettant en relation des familles, des groupes, ici et là-bas.
Le jumelage s’appuiera sur l’œuvre d’Orient pour proposer une solidarité concrète en faveur des écoles du diocèse de Batroun menacées de fermeture par manque de ressources, surtout dans la montagne. Des documents précis seront diffusés dans les prochains jours pour que nous puissions relayer cet appel dans les paroisses et communautés.
La lumière vient aussi de la démarche synodale voulue par le Pape François et que les Églises catholiques du Liban s’approprient dans la situation dramatique qui est la leur. La rencontre et l’écoute sont au cœur de cette démarche, pour discerner ce que l’Esprit Saint fait découvrir comme appel pour l’avenir. Cette synodalité se vit à la base dans les paroisses, les groupes de mouvement, c’est l’affaire de tous les baptisés. L’Église maronite a, dans son histoire, plus que l’Église latine la pratique de la synodalité. Cette démarche synodale est une belle opportunité pour recréer de la confiance et de l’espérance dans la nuit opaque où est plongé le Liban.
Le Père Mounir dans ses interventions lucides nous a fait ressentir la foi et l’espérance qui l’animent. Il est en première ligne, dans le groupe de travail, au service de la renaissance du Liban avec tous les groupes religieux. Il est aussi l’âme, avec d’autres, de la démarche synodale des Églises catholiques du Liban. Il a conscience que le dépouillement auquel l’Église maronite est contraint du fait des difficultés économiques, partagées avec tous, la rendra plus évangélique.
Ne nous laissons pas enfermer par des informations alarmistes et réductrices. Il y a dans cette nuit terrible que vit le peuple libanais, une espérance de renaissance ou peut se lire la promesse de Noël ! Alors, nous ici à Saint-Étienne, accompagnons par notre prière et notre mobilisation financière nos amis libanais dans leur épreuve. Ils tiennent accrochés à leur rocher, malgré la violente tempête qui les secoue. Ils résistent, fidèles, à leur magnifique histoire, malgré leur fragilité.
Louis Tronchon – 25 novembre 2021
Au cours de sa visite récente, Mgr Mounir a pu rencontrer certains élus de Saint-Etienne