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Mgr Sylvain Bataille

Lettres et orientations pastorales

Jubilé et renouveau : lettre pastorale de Mgr Sylvain Bataille

Publié le 31 mai 2020

MEA - lettre2020V2

 

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D’une Pentecôte à l’autre

Nous voici entrés dans l’année jubilaire, au terme de laquelle nous fêterons les 50 ans de notre diocèse. Depuis la première Pentecôte de Jérusalem, l’Eglise ne cesse de se renouveler par le don de l’Esprit Saint ! L’Esprit nous éclaire, nous fortifie et nous unifie, par-delà les germes de division, les manques de foi, les incohérences et les tentations de repli. Il nous transforme pour que nous puissions vivre les deux grands commandements que le Christ a laissés à ses disciples. D’une part charité et communion en Dieu : « Que tous soient un, comme Père tu es en moi et moi en toi » (Jn 17), et d’autre part, mission : « De toutes les nations, faites des disciples » (Mt 28). C’est dans cette dynamique que nous avons engagé notre démarche jubilaire, au cœur de laquelle se situe notre démarche synodale. Alors que nous nous mettions en route, qu’au 15 mars près de 200 équipes synodales étaient recensées et que beaucoup d’autres étaient en train de se constituer, la pandémie et ses deux mois inédits de confinement ont tout suspendu. Aujourd’hui, notre vie sociale et notre vie ecclésiale reprennent très progressivement et le bouleversement est profond, tant sur le plan économique que sur le plan humain et spirituel. Pourtant, notre désir qu’advienne une Eglise « toujours plus ardente, fraternelle et missionnaire » est intact et le cœur de notre démarche synodale m’apparaît plus essentiel que jamais. Comment allons-nous faire pour que ce temps d’épreuve et l’expérience inédite que nous vivons viennent l’enrichir encore ?

Proximité et communion

L’Évangile est une invitation permanente à la communion et à la proximité. Le coronavirus nous a contraints à mettre des distances : l’autre est devenu un danger pour moi et je peux être un danger pour lui. Comment vivre en disciples du Christ, avec cette distanciation nécessaire pour se protéger mutuellement, sans nous laisser enfermer dans la peur et le repli ? Les règles sanitaires sont pour le bien de l’homme mais elles ne sont pas le tout de notre existence. Ce qui est premier c’est la vie relationnelle, l’ouverture aux autres et à Dieu : il n’y a de vrai bonheur que dans la réciprocité du don. Comment associer gestes barrières et attention aux autres, notamment aux plus fragiles ? L’isolement forcé s’est révélé être un drame autant qu’une protection. La fête de la Pentecôte est par excellence la fête du déconfinement, une invitation à s’ouvrir, à sortir et à aller de l’avant, à oser la rencontre et la mission, car le monde est en attente. Il y a eu de belles expériences en cette année missionnaire et des diaconies ont aussi été très actives durant le confinement. C’est à poursuivre pour que chacun, selon ses talents, puisse exprimer par toute sa vie les merveilles de Dieu.

Eucharistie, source et sommet

Deux mois sans pouvoir nous rassembler pour célébrer l’Eucharistie, on n’avait jamais vu cela ! L’Eucharistie est essentielle pour notre vie chrétienne. Nous avons besoin d’une communauté pour écouter ensemble la Parole de Dieu, pour célébrer la mort et la résurrection du Christ, pour communier à son amour, une communion qui nous unit les uns aux autres et nous renvoie vers les autres. Comment avons-nous vécu ce temps de privation ? Les moyens de communication ont permis une certaine communion, mais qu’est-ce qui nous a manqué ? Au moment où nous pouvons à nouveau nous réunir pour célébrer le Seigneur, comment mieux vivre ensemble ce mystère, source et sommet de toute vie chrétienne ? « Si vous ne mangez pas mon corps et ne buvez pas mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6) nous dit Jésus.

L’expérience de la fragilité

L’expérience du Covid 19 c’est aussi, et peut-être d’abord, l’expérience de la fragilité. La science, que d’aucuns voyaient comme le socle de notre modernité, s’est montrée bien incertaine. La globalisation, qui semblait l’avenir inéluctable de notre planète, a montré ses limites. La technique, sensée résoudre les difficultés de notre quotidien, a été prise au dépourvu. Que reste-t-il donc ? Allons-nous essayer de repartir comme si rien ne s’était passé, comme après la crise de 2008 ? Et si l’on change de modèle social ou économique, sur quelle base peut-on en construire un nouveau ? Les solutions “bon marché » seront toujours superficielles et limitées. Il n’y a pas de changement en profondeur sans conversion du cœur, sinon on risque d’en rester aux conflits idéologiques qui stérilisent tous ceux qui s’y livrent, et l’on sait combien le « Diviseur », toujours à l’œuvre, aime les entretenir.

De l’incertitude à l’espérance

L’expérience de la fragilité est accompagnée de celle de l’incertitude. On a pu croire que la raison permettait de tout maîtriser, de tout programmer, mais là encore, cette crise du Covid 19 nous a profondément interrogés et déstabilisés. Personne ne peut prévoir l’avenir. Les principes de précaution, assurances et autres sécurités, ont volé en éclats. Les peurs qu’ils tentaient vainement de dissiper réapparaissent, avec le risque de susciter des réponses étroites et inadaptées aux défis qui se présentent à nous. Et pourtant, la vraie vie n’est-ce pas l’incertitude, avec ce qu’elle comporte de très inconfortable ? Vais-je pouvoir réaliser mes projets, mes désirs les plus grands ? Comment va évoluer ma santé dans les années à venir ? Et la vieillesse qui s’approche inéluctablement ? Et la mort ? De plus, ceux qui me sont chers, comment vont-ils évoluer ? Celui ou celle avec qui j’ai fait ma vie ? Mes enfants et mes proches ? Enfin, quel avenir pour notre société sur le plan local, national et mondial ? Quelles vont être les conséquences humaines de la crise économique ? Comment envisager un nouveau modèle social qui soit un vrai progrès pour l’humanité ? Face à tant d’incertitudes, que nous reste-t-il alors, sinon la confiance et l’espérance ? L’expérience de notre pauvreté peut nous aider à entrer dans l’attitude spirituelle fondamentale qui est faite d’humilité et d’ouverture. Nous ne sommes pas des surhommes, nous sommes petits et fragiles, mais cela peut être source d’une extraordinaire fécondité si nous osons choisir l’abandon entre les mains de Dieu. Il ne s’agit pas d’une démission mais d’un engagement spirituel courageux aux conséquences insoupçonnées, qui seul peut renouveler l’humanité en profondeur. Nous découvrons alors que l’incertitude ne porte pas que sur le négatif : combien d’opportunités la vie va-t-elle m’apporter, que je n’aurais jamais pu imaginer ! Dans sa fragilité même, la vie porte une solidité et une puissance qui nous permettent de relever bien des défis, d’autant que nous ne sommes pas seuls.

Prenons le temps de la réflexion

Comme nous le rappelle le Pape François dans l’encyclique Laudato Si, les réalités humaines, sociales, économiques, environnementales et même spirituelles, sont intimement liées. Seule une approche globale de ces questions permettra de trouver des solutions durables. Personne ne les possède, mais nous avons à les chercher ensemble, comme à tâtons, à les accueillir de Dieu et de nos frères et sœurs en humanité. Après ce temps de confinement, propice pour certains à un vrai chemin intérieur, nous avons besoin de nous retrouver pour relire, réfléchir et partager. En paroisse, les fraternités locales missionnaires peuvent être des instruments précieux pour un renouveau personnel, communautaire et missionnaire. Les mouvements peuvent aussi y contribuer de manière significative.

Comment poursuivre notre démarche synodale ?

Dans le contexte bien particulier qui est le nôtre aujourd’hui, la démarche synodale m’apparait donc plus nécessaire que jamais pour découvrir ensemble ce que l’Esprit veut nous dire. Quels sont les chemins de la communion et de la mission pour les années à venir dans notre diocèse ? Comment pouvons-nous contribuer au renouveau de l’humanité ? Cependant, de tels discernements nécessitent du recul et de la paix. En ce temps de crise, l’urgence est plutôt à l’engagement et à l’expérimentation. C’était toute la dynamique de l’année missionnaire : faire l’expérience concrète d’un renouveau de la foi et de l’évangélisation, d’un renouveau de la diaconie, renouveau qui passe par la conversion de chacun de nos cœurs. Les semaines de confinement ont été l’occasion d’une nouvelle créativité pastorale, pour faire face au drame de la « distanciation ». Nous avons mieux perçu l’importance et la force des liens qui nous unissent. Il nous faut prendre de nouveaux moyens pour renouer aujourd’hui ceux qui se sont desserrés, pour annoncer la Bonne nouvelle à ce monde en souffrance et en crise. Ce n’est que dans un deuxième temps que nous pourrons en tirer des orientations pour les années à venir. Il me semble donc préférable de ne pas reprendre immédiatement notre démarche synodale. J’espère que les conditions seront réunies en 2021 pour la relancer, sinon il nous faudra attendre encore un peu.

Un temps pour une nouvelle fécondité

Les temps d’épreuve sont favorables aux transformations, ils suscitent des libertés nouvelles. En effet, certaines manières de penser et de vivre apparaissent inopérantes et dépassées. De nouveaux chemins sont à découvrir. La crise doit être l’occasion d’un renouveau, ne visons pas une restauration. Comme chrétiens, avec la lumière de l’Evangile et la force de l’Esprit, nous avons à nous engager dans ce travail d’enfantement, inévitablement difficile, douloureux, mais aussi riche de promesses et d’espérance. Nous avons vu comment, au cœur de la pandémie, la générosité et l’inventivité ont permis un surcroît d’humanité qui a été décisif pour garder la tête hors de l’eau. La situation de notre monde demande la complète mobilisation de tous et de chacun, dans la liberté intérieure et l’ouverture aux autres. Les perspectives strictement humaines sont trop étroites pour affronter les défis d’aujourd’hui et de demain, nous avons besoin du souffle de l’Esprit. La solidarité ne suffit pas ! Nous avons besoin de la charité, besoin de personnes qui donnent leur vie ! La croyance ne suffit pas ! Nous avons besoin d’une foi solide, fondée sur une relation personnelle et vivante au Christ. L’espoir ne suffit pas ! Nous avons besoin de l’espérance, qui dépasse toutes les incertitudes et ouvre sur le Royaume. C’est dans cette perspective que nous publions, en cette fête de Pentecôte, la charte pour les Laïcs En Mission Ecclésiale, fruit d’un long travail de réflexion et d’échanges, à partir de l’expérience de notre diocèse en la matière. Dans la diversité des vocations et des missions, nous sommes tous ensembles responsables et partie prenante de la mission.

Et la célébration des 50 ans du diocèse ?

Alors que s’ouvre notre année jubilaire, le rendez-vous de la Pentecôte 2021, le 23 mai prochain, reste bien présent. Comment allons-nous le vivre ? La perspective d’un vrai rassemblement et d’une grande confirmation semble garder toute sa pertinence. Nous verrons dans les mois à venir ce qu’il est possible d’organiser, selon nos moyens et les conditions du moment.

En ce jour de Pentecôte

Sûrs que l’Esprit ne fait jamais défaut à ceux qui l’invoquent et se laissent conduire, restons unis dans la prière pour que notre Eglise diocésaine soit toujours davantage témoin du Christ ressuscité, Sauveur du monde, pour qu’elle soit toujours plus ardente, fraternelle et missionnaire.

+ Sylvain Bataille, évêque de Saint-Etienne
Le 31 mai 2020, en la fête de la Pentecôte

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