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Message du Pape François pour la Journée Mondiale de la Paix 2022

Publié le 28 décembre 2021

Le message du Pape François pour la journée mondiale de la Paix du 1er janvier 2022 a été rendu public le 21 décembre 2021.

Dialogue entre générations, éducation et travail : des outils pour construire une paix durable

  1. « Comme ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du messager qui annonce la paix » (Is 52, 7) 

Ces paroles du prophète Isaïe expriment la consolation, le soupir de soulagement d’un  peuple exilé, épuisé par la violence et les sévices, exposé à l’indignité et à la mort. Le prophète Baruch s’interrogeait : « Pourquoi donc, Israël, pourquoi es-tu exilé chez tes ennemis, vieillissant  sur une terre étrangère, souillé par le contact des cadavres, inscrit parmi les habitants du séjour des  morts ? » (3, 10-11). Pour ces gens, l’avènement du messager de paix signifiait l’espérance d’une  renaissance sur les décombres de l’histoire, le début d’un avenir radieux.

Aujourd’hui encore, le chemin de la paix, que saint Paul VI a appelé du nouveau nom de  développement intégral,[1] reste malheureusement éloigné de la réalité de beaucoup d’hommes et de  femmes et, par conséquent, de la famille humaine, désormais complètement interconnectée. Malgré  les multiples efforts visant à un dialogue constructif entre les nations, le bruit assourdissant des  guerres et des conflits s’amplifie, tandis que des maladies aux proportions pandémiques progressent,  que les effets du changement climatique et de la dégradation de l’environnement augmentent, que le  drame de la faim et de la soif s’aggrave et qu’un modèle économique basé sur l’individualisme  plutôt que sur le partage solidaire continue de dominer. Aujourd’hui encore, comme au temps des anciens prophètes, la clameur des pauvres et de la terre [2] ne cesse de s’élever pour implorer justice  et paix.

À chaque époque, la paix est à la fois un don du ciel et le fruit d’un engagement commun. Il  y a, en effet, une “architecture” de la paix, dans laquelle interviennent les différentes institutions de  la société, et il y a un “artisanat” de la paix qui implique chacun de nous personnellement.[3] Chacun  peut collaborer à la construction d’un monde plus pacifique : à partir de son propre cœur et des  relations au sein de la famille, dans la société et avec l’environnement, jusqu’aux relations entre les  peuples et entre les États.

Je voudrais proposer ici trois voies pour construire une paix durable. Tout d’abord, le  dialogue entre les générations comme base pour la réalisation de projets communs. Deuxièmement,  l’éducation en tant que facteur de liberté, de responsabilité et de développement. Enfin, le travail pour une pleine réalisation de la dignité humaine. Ces trois éléments sont essentiels pour  « l’élaboration d’un pacte social »,[4] sans lequel tout projet de paix est inconsistant.

  1. Dialoguer entre les générations pour construire la paix 

Dans un monde toujours en proie à la pandémie qui a causé tant de maux, « certains essaient  de fuir la réalité en se réfugiant dans leurs mondes à eux, d’autres l’affrontent en se servant de la  violence destructrice. Cependant, entre l’indifférence égoïste et la protestation violente, une option  est toujours possible : le dialogue. Le dialogue entre les générations ».[5]

Tout dialogue sincère, même s’il n’est pas dépourvu d’une dialectique juste et positive,  requiert toujours une confiance fondamentale entre les interlocuteurs. Nous devons retrouver cette  confiance mutuelle ! La crise sanitaire actuelle a accru pour tout le monde le sentiment de solitude  et de repli sur soi. La solitude des personnes âgées s’accompagne chez les jeunes d’un sentiment  d’impuissance et de l’absence d’une idée commune de l’avenir. Cette crise est certainement  douloureuse. Mais c’est aussi une crise qui peut faire ressortir le meilleur des personnes. En effet,  pendant la pandémie, nous avons vu de généreux témoignages de compassion, de partage et de  solidarité dans le monde entier.

Le dialogue consiste à s’écouter, discuter, se mettre d’accord et cheminer ensemble.  Favoriser tout cela entre les générations signifie labourer le sol dur et stérile du conflit et du rejet  pour cultiver les semences d’une paix durable et partagée.

Alors que le développement technologique et économique a souvent divisé les générations,  les crises contemporaines révèlent l’urgence de leur alliance. D’une part les jeunes ont besoin de  l’expérience existentielle, sapientielle et spirituelle des personnes âgées ; d’autre part les personnes  âgées ont besoin du soutien, de l’affection, de la créativité et du dynamisme des jeunes.

Les grands défis sociaux et les processus de pacification ne peuvent se passer du dialogue  entre les gardiens de la mémoire – les personnes âgées – et ceux qui font avancer l’histoire – les  jeunes – ; pas plus que de la disponibilité de chacun pour faire place à l’autre, pour ne pas prétendre  occuper toute la scène en poursuivant des intérêts immédiats comme s’il n’y avait ni passé ni avenir.  La crise mondiale que nous vivons nous montre que la rencontre et le dialogue entre les générations  sont le moteur d’une politique saine qui ne se contente pas de gérer le présent « avec des  rapiècements ou des solutions rapides » [6], mais qui se propose comme une forme éminente d’amour  de l’autre, [7] dans la recherche de projets communs et durables.

Si, face aux difficultés, nous savons pratiquer ce dialogue intergénérationnel, « nous  pourrons être bien enracinés dans le présent, et, de là, fréquenter le passé et l’avenir : fréquenter le  passé, pour apprendre de l’histoire et pour guérir les blessures qui parfois nous conditionnent ;  fréquenter l’avenir pour nourrir l’enthousiasme, faire germer des rêves, susciter des prophéties, faire  fleurir des espérances. De cette manière, nous pourrons, unis, apprendre les uns des autres ». [8] Sans  racines, comment les arbres pourraient-ils pousser et porter des fruits ?

Il suffit de penser à la question du soin de notre maison commune. L’environnement, en  effet, est « un prêt que chaque génération reçoit et doit transmettre à la génération suivante ».[9]

Nous devons donc apprécier et encourager les nombreux jeunes qui s’engagent pour un monde plus  juste et attentif à la sauvegarde de la création confiée à nos soins. Ils le font avec préoccupation et  enthousiasme, et surtout avec un sens des responsabilités face à l’urgent changement de direction [10] que nous imposent les difficultés nées de la crise éthique et socio-environnementale actuelle.[11] Par ailleurs, la possibilité de construire ensemble des chemins de paix ne peut être séparée  de l’éducation et du travail qui sont des lieux et des contextes privilégiés pour le dialogue  intergénérationnel. C’est l’éducation qui fournit la grammaire du dialogue entre les générations, et  c’est dans l’expérience du travail que des hommes et des femmes de différentes générations se  retrouvent à collaborer, à échanger des connaissances, des expériences et des compétences en vue  du bien commun.

  1. L’instruction et l’éducation comme moteurs de la paix 

Ces dernières années, le budget consacré à l’éducation et à l’instruction, considérées comme  des dépenses au lieu d’investissements, a été sensiblement réduit dans le monde entier. Et pourtant,  elles sont les premiers vecteurs d’un développement humain intégral : elles rendent la personne plus  libre et responsable et sont indispensables pour la défense et la promotion de la paix. En d’autres  termes, instruction et éducation sont les fondements d’une société unie, civilisée, capable de créer l’espérance, la richesse et le progrès.

Les dépenses militaires, en revanche, ont augmenté, dépassant le niveau enregistré à la fin  de la “guerre froide”, et elles semblent devoir croître de manière exorbitante.[12] Il est donc opportun et urgent que tous ceux qui ont une responsabilité de gouvernement  élaborent des politiques économiques qui prévoient une inversion du rapport entre les  investissements publics dans l’éducation et les fonds destinés aux armements. D’ailleurs, la poursuite d’un réel processus de désarmement international ne peut qu’entraîner de grands  bénéfices pour le développement des peuples et des nations en libérant des ressources financières à employer de manière plus appropriée pour la santé, l’école, les infrastructures, le soin du territoire,  et ainsi de suite.

J’ai l’espoir que l’investissement dans l’éducation s’accompagne d’un engagement plus  grand pour promouvoir la culture du soin.[13] Celle-ci, face aux fractures de la société et à l’inertie  des institutions peut devenir le langage commun qui abatte les barrières et construise des ponts.  « Un pays grandit quand dialoguent de façon constructive ses diverses richesses culturelles : la  culture populaire, la culture universitaire, la culture des jeunes, la culture artistique et  technologique, la culture économique et la culture de la famille, et la culture des médias ».[14] Il est  donc nécessaire de forger un nouveau paradigme culturel à travers « un pacte éducatif global pour et  avec les jeunes générations, qui engage les familles, les communautés, les écoles et les universités,  les institutions, les religions, les gouvernants, l’humanité entière, dans la formation de personnes  matures ».[15] Un pacte qui promeuve l’éducation à l’écologie intégrale selon un modèle culturel de  paix, de développement et de durabilité, axé sur la fraternité et sur l’alliance entre l’être humain et  l’environnement.[16]

Investir dans l’instruction et l’éducation des jeunes générations est la route principale qui les  conduit, à travers une préparation spécifique, à occuper avec profit une juste place dans le monde du  travail.[17]

  1. Promouvoir et garantir le travail construit la paix 

Le travail est un facteur indispensable pour construire et préserver la paix. Il est expression  de soi et de ses propres dons, mais aussi effort, fatigue, collaboration avec les autres, puisqu’on  travaille toujours avec ou pour quelqu’un. Dans cette perspective fortement sociale, le travail est le lieu où nous apprenons à donner notre contribution pour un monde plus vivable et plus beau.

La pandémie de Covid-19 a aggravé la situation du monde du travail, qui affrontait déjà de multiples défis. Des millions d’activités économiques ont fait faillite ; les travailleurs précaires sont  de plus en plus exposés ; beaucoup de ceux qui assurent des services essentiels sont davantage  ignorés de la conscience publique et politique ; l’instruction à distance a causé, dans de nombreux  cas, une régression de l’apprentissage et des parcours scolaires. Les jeunes qui entrent sur le marché  du travail et les adultes victimes du chômage font face aujourd’hui à des perspectives dramatiques.

En particulier, l’impact de la crise sur l’économie informelle, qui souvent concerne des travailleurs migrants, a été dévastateur. Beaucoup d’entre eux ne sont pas reconnus par les lois nationales,  comme s’ils n’existaient pas. Ils vivent dans des conditions très précaires, eux et leurs familles,  exposés à diverses formes de servitudes et sans système de welfare qui les couvre. S’y ajoute le fait  qu’actuellement seul un tiers de la population mondiale en âge de travailler jouit d’un système de  protection sociale, ou peut en profiter de manière limitée. Dans de nombreux pays la violence et la criminalité organisée progressent, étouffant la liberté et la dignité des personnes, empoisonnant l’économie et empêchant au bien commun de se développer. La réponse à ces situations ne peut passer qu’à travers un élargissement des possibilités de travail digne.

Le travail, en effet, est la base sur laquelle se construisent la justice et la solidarité dans toute  communauté. C’est pourquoi « on ne doit pas chercher à ce que le progrès technologique remplace  de plus en plus le travail humain, car l’humanité se dégraderait elle-même. Le travail est une nécessité, il fait partie du sens de la vie sur cette terre, chemin de maturation, de développement  humain et de réalisation personnelle ».[18] Nous devons rassembler les idées et les efforts pour créer les conditions et trouver des solutions afin que tout être humain en âge de travailler ait la possibilité,  par son travail, de contribuer à la vie de sa famille et de la société.

Il est plus que jamais urgent de promouvoir dans le monde entier des conditions de travail  décentes et dignes, orientées vers le bien commun et la sauvegarde de la création. Il faut assurer et  soutenir la liberté d’initiative des entreprises et, en même temps, développer une responsabilité  sociale renouvelée pour que le profit ne soit pas l’unique critère-guide.

Dans cette perspective, doivent être stimulées, accueillies et soutenues les initiatives qui, à tous les niveaux, motivent les entreprises au respect des droits humains fondamentaux des  travailleuses et des travailleurs, en sensibilisant non seulement les institutions mais aussi les  consommateurs, la société civile et les entreprises. Plus ces dernières sont conscientes de leur rôle  social, plus elles deviennent des lieux où s’exerce la dignité humaine, participant ainsi à la construction de la paix. Sur ce sujet, la politique est appelée à jouer un rôle actif en promouvant un juste équilibre entre liberté économique et justice sociale. Tous ceux qui œuvrent en ce domaine, en  commençant par les travailleurs et les entrepreneurs catholiques, peuvent trouver des orientations sûres dans la Doctrine sociale de l’Église.

Chers frères et sœurs, alors que nous cherchons à unir nos efforts pour sortir de la pandémie,  je voudrais renouveler ma gratitude à tous ceux qui sont engagés, et qui continuent à se dévouer  avec générosité et responsabilité, pour garantir l’instruction, la sécurité et la protection des droits, pour donner les soins médicaux, pour faciliter la rencontre entre familles et malades, pour garantir  un soutien économique aux personnes pauvres ou qui ont perdu leur travail. Et j’assure de ma prière  toutes les victimes et de leurs familles.

Aux gouvernants et à tous ceux qui ont des responsabilités politiques et sociales, aux  pasteurs et aux animateurs des communautés ecclésiales, ainsi qu’à tous les hommes et femmes de  bonne volonté, je lance un appel pour que nous marchions ensemble dans ces trois voies : le  dialogue entre les générations, l’éducation et le travail ; avec courage et créativité. Et que soient de  plus en plus nombreux ceux qui, sans faire de bruit, avec humilité et ténacité, se font jour après jour  des artisans de paix. Et que la Bénédiction du Dieu de la paix les précède et les accompagne  toujours.

Du Vatican, le 8 décembre 2021
Le Pape François

[1] Cf. Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 76ss.

[2] Cf. Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 49.

[3] Cf. Lett. enc. Fratelli tutti (3 ocotbre 2020), n. 231.

[4] Ibid., n. 218.

[5] Ibid., n. 199.

[6] Ibid., n. 179.

[7] Cf. Ibid., n. 180.

[8] Exhort. ap. Christus vivit (25 mars 2019), n. 199.

[9] Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 159.

[10] Cf. Ibid., nn. 163 ; 202.

[11] Cf. Ibid., n. 139.

[12] Cf. Message aux participants au 4ème Forum de Paris sur la paix, 11-13 novembre 2021. [13] Cf. Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 231; Message pour la 54ème Journée Mondiale de  la Paix. La culture du soin comme parcours de paix (8 décembre 2020).

[14] Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), n. 199.

[15] Vidéomessage pour le Global Compact on Education. Together to look Beyond (15 octobre  2020).

[16] Cf. Vidéomessage pour le High Level Virtual Climate Ambition Summit (13 décembre 2020), n.  18.

[17] Cf. S. Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 18. [18] Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 128.

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