Tous frères, un slogan ou une réalité ?
Le message de Mgr Sylvain Bataille
Va-ton nécessairement vers toujours plus de radicalisation des points de vue et d’affrontements entre les personnes, les nations, les cultures, les groupes politiques, religieux… ? Internet et les réseaux sociaux offrent des possibilités inouïes de connaissances et de relations, pour partager des savoirs, entretenir les liens, se soutenir mutuellement, promouvoir la solidarité ou la Bonne Nouvelle. Cependant, nous savons qu’ils peuvent aussi facilement attiser les oppositions et les hostilités. Les algorithmes proposent ce qui correspond à nos idées, pour les renforcer. Le danger est alors grand de nous enfermer dans nos propres schémas. Ajoutons à cela quelques grosses « fake news » et des photos truquées grâce à l’intelligence artificielle : tous les éléments sont alors réunis pour se faire la guerre. Il suffit de lire les commentaires sur internet pour s’en convaincre. Derrière la violence des mots, on perçoit le mépris, la haine, l’agressivité. Tous les coups sont permis lorsqu’on s’exprime sous un pseudonyme, à distance, dans cette culture du rejet, de la caricature et du mensonge. Les conséquences sur notre vie sociale sont nombreuses aujourd’hui, avec une radicalisation des positions, une perte du sens de la responsabilité et de la vérité, et ce sentiment d’être menacé, en danger, qui pousse à riposter. Sommes-nous condamnés à entrer dans cette danse macabre, en rendant œil pour œil, dent pour dent, et même davantage, dans une escalade de la violence ? Ou bien est-il encore possible de vivre en frères, de parler et d’échanger sur des points de vue différents, non pas pour convaincre les autres et l’emporter sur eux, mais pour chercher la vérité, pour l’accueillir d’où qu’elle vienne, pour grandir et construire ensemble ?
Nous sommes tous frères ! Ce n’est pas un slogan mais la première affirmation de notre foi, de notre Crédo : Dieu est unique, il est Père et créateur de tous, de ceux qui vivent et pensent comme moi mais aussi de ceux qui ne vivent pas et ne pensent pas comme moi. Par son Fils Jésus, il veut tous nous réunir en son Royaume, tous ceux qui croient comme moi et même tous ceux qui croient autrement. Pour cela, il donne à chacun son Esprit, bien au-delà des limites visibles de l’Église, et nous en sommes souvent surpris, comme déjà les Apôtres dans les Actes. Plus encore, la foi nous révèle que nous sommes créés à l’image de Dieu qui est Trinité, c’est-à-dire communion de trois personnes, égales et différentes. De toute éternité le Père et le Fils se donnent mutuellement l’un à l’autre, dans l’Esprit. Si nous sommes à l’image de Dieu, pour nous aussi vivre c’est aimer, accueillir et se donner. Dans sa dernière encyclique sur le cœur de Jésus, le Pape François nous invite à dépasser nos sentiments, nos idées, nos désirs pour nous situer au centre de notre personnalité, dans notre cœur, là où nous aimons, accueillons et donnons. Il y a quelques jours, dans la rue, un homme d’une culture manifestement bien différente de la mienne m’a fait un sourire qui m’a profondément touché, on y voyait son cœur.
Ne nous laissons donc pas impressionner par le mal, ne cédons pas à sa fascination ni aux oppositions de toutes sortes. Faisons le choix de vivre au niveau de notre cœur profond, de notre capacité à aimer, à accueillir et à nous donner, envers et contre tout. Faisons le choix de regarder l’autre comme un frère, pour qu’il le devienne vraiment. Cela commence par le respect et l’accueil de chacun, quel qu’il soit, en tenant amour et vérité. N’est-ce pas là notre premier témoignage de chrétien, le fondement de toute charité ? La radicalité évangélique est une radicalité de l’amour de tous, de l’accueil, de l’écoute bienveillante, du dialogue, du don et du pardon. Elle va jusqu’à l’annonce de l’Évangile, non pas pour l’imposer, mais pour partager une Bonne Nouvelle qui nous fait vivre, pour proposer la rencontre du Christ qui vient nous rendre petit à petit capable d’aimer à sa manière, de devenir vraiment ce que nous sommes, des frères et sœurs en lui, appelés à être tous réunis dans son Royaume. N’est-ce pas ce dont le monde a le plus besoin aujourd’hui ? N’est-ce pas le plus beau cadeau que nous pouvons lui faire, en commençant nous-mêmes par en vivre davantage ?
+ Sylvain Bataille, évêque de Saint-Étienne