Notre voyage à Batroun du 12 au 15 juillet a été rapide et très intense. Nous avons ainsi pu être témoins de l’engagement de nombreuses personnes dans le diocèse de Batroun pour faire face à une situation très difficile. Des initiatives sont prises dans de nombreux domaines, mais les besoins sont immenses. Nous avons pu raffermir, les liens de nos deux diocèses. Nous en sommes les ambassadeurs ! Un peu plus de deux semaines après notre retour, je choisis de développer trois événements qui nous ont particulièrement marqués. Ils donnent toute sa signification à la poursuite de notre jumelage spirituel dans des conditions très complexes pour nos amis libanais. Le dernier point, la visite des écoles est ce qui engage l’avenir et notre mobilisation renouvelée à les soutenir.
1 – La soirée du mardi 12 juillet chez Madame Adma SALLOUM
Après la célébration à l’Eglise de Thoum, l’une des deux paroisses du Père Sami Nehmé et après un échange fraternel sur la terrasse, face à la mer, avec les paroissiens où nous avons eu la joie de reconnaître des « pionniers » du jumelage (en la personne des sœurs Ayoub !). Nous avons été accueillis chez madame Adma Salloum, la nouvelle secrétaire du comité du jumelage. La maison est vaste, nous sommes chez des architectes ! Trois familles l’habitent autour de la grand-mère, maman de trois garçons. La crise est moins visible qu’ailleurs puisque l’un des fils travaille à l’extérieur au Nigéria et peut faire vivre l’ensemble du clan familial. Formidable solidarité familiale qui permet aux libanais de résister alors que tout s’effondre, la monnaie, la vie politique, la justice. Au Liban, plus qu’ailleurs, les familles sont le dernier rempart qui protège et permet la vie.
Les enfants de cette famille sont très engagés dans la vie paroissiale et les mouvements de jeunes. L’une d’elles se prépare à poursuivre des études supérieures à Paris. Là encore, la solidarité familiale joue à plein !
Ces jeunes nous parlent avec émotion de leur oncle, absent… et pour cause ! Antoine Salloum est lieutenant général de l’armée libanaise. Il était en mission le jour de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 Août 2020 et comme 25 personnes présentes ce jour là et qui ont réchappés à cette catastrophe, ils ont été arrêtés et incarcérés, sans jugement. Les jeunes parlent de leur oncle avec un profond respect et une grande admiration. Ils ressentent son arrestation comme une injustice supplémentaire. Depuis deux ans les procédures judiciaires pour retrouver et juger les responsables de cette énorme catastrophe sont en panne. Antoine Salloum, lui, est toujours privé de liberté alors qu’il ne faisait qu’accomplir sa mission.
Nous aurons l’occasion mercredi matin 13 juilley, en rencontrant l’évêque maronite de Beyrouth, et plusieurs victimes, de découvrir la profondeur du traumatisme, encore à vif ! Le drame se poursuit avec l’effondrement de deux silos à grain, ce dimanche soir 31 juillet. Un incendie s’était déclaré sur le site début juillet, nous avions vu les flammes au pied d’un silo, en passant le 13 ! Pourquoi cet incendie n’a-t-il pas pu être maitrisé ? A qui profites la destruction de ces silos ? Tout ce qui se passe autour de cette dramatique explosion du 4 août 2020 et de ses suites est très mystérieux. Nous avons là, l’expression tragique de la paralysie des institutions de l’état libanais, et en particulier de la justice, mais, en même temps nous constatons la motivation forte de la société civile et surtout des jeunes pour un autre avenir !
2 – La rencontre avec les carmélites de Harissa.
Ce carmel grec catholique a été fondé au début des années 60, par trois carmélites espagnoles. Elles sont aujourd’hui une trentaine et un autre carmel a été fondé à Jbail, lui aussi très florissant. Les vocations ne manquent pas dans ce contexte d’extrême fragilité et de grande pénurie, pour les religieuses de Harissa comme pour tous les libanais. Ce monastère est célèbre dans le monde entier pour la qualité de ses icônes.
Devant l’insécurité permanente, plusieurs fois, les autorités espagnoles ont proposé aux sœurs de les rapatrier en Espagne. Elles ont toujours catégoriquement refusé. Alors que tant de gens quittent le Liban par nécessité. Elles font le choix de rester quoiqu’il leur en coûte.
Nous avons eu un bon échange avec une vingtaine de religieuses derrière la grille du parloir. Cela ne nous a pas empêché de ressentir très profondément la communion de cette communauté avec le peuple libanais. Elles connaissent bien la situation par leurs familles et leurs relations. L’une d’elle a exprimé avec une force surprenante sa colère devant la situation actuelle. Là, dans ce monastère si paisible, en apparence à l’écart des turbulences sociales et politiques de Beyrouth, nous avons entendu une colère, sourde, profonde. Les libanais sont en colère contre leurs dirigeants mais aussi en colère devant l’impuissance de la communauté internationale qui laisse ce pays sombrer. Derrière la gentillesse et les sourires de bienvenue, nous avons ressenti cette profonde et sourde colère. Elle s’est exprimée dans le mouvement de 2019 qui n’a pas pu déboucher sur des solutions politiques. Elle est une source d’énergie et de résilience dans l’adversité, bien nécessaire pour construire l’avenir.
3 – La rencontre des trois écoles de Batroun
Une enquête sociale réalisée par le diocèse indiquait un nombre d’élèves relativement faible dans le diocèse de Batroun, un peu plus de trois mille enfants scolarisés dans les établissements de l’enseignement catholique. C’est peu au regard de la population globale. Mis à part l’école de Tanourine, il y a peu d’écoles en montagne. Les villages ont perdu leurs habitants du fait de l’immigration et les familles privilégient l’inscription, de leurs enfants à Batroun même d’où l’importance des trois collèges que nous avons visités. Dans les trois cas la situation économique de ces collèges est d’une très grande fragilité. En effet les familles, surtout les plus pauvres ont toutes les peines du monde à assurer le financement de la scolarisation de leurs enfants. Il n’y a pas d’aide de l’Etat et ces écoles doivent vivre de la participation des familles. A la rentrée il est demandé aux familles d’assurer leur participation pour partie en dollars et pas seulement en livre libanaise. Cette dollarisation progressive de l’économie libanaise est une menace pour ces établissements. En effet les enseignants pour faire face à la hausse des prix, surtout de l’essence, demandent à recevoir une rémunération en dollars… au risque de changer d’école ou d’arrêter l’enseignement! Les gestionnaires doivent réaliser des prouesses pour maintenir en vie ces établissements essentiels à la transmission d’une culture de qualité et d’une formation chrétienne exigeante !
Nous avons été surpris de voir dans les trois écoles normalement en vacances, des activités avec de nombreux enfants, style centre aéré ou colonie de vacances, avec une dimension ludique importante mais aussi des enseignements traditionnels et toujours la vie de prière !!!
- A – Le lycée Saint Elie des sœurs maronites de la Sainte famille
Les bâtiments sont impressionnants, les plus anciens datent des années 1920, pour les primaires et le collège, d’autres tous récents pour les post bac. Il s’agit d’un petit campus aux portes de Batroun, très bien entretenu, avec son jardin et au centre une chapelle dédiée à St Elie largement ouverte sur l’espace scolaire.
Nous sommes reçus par Sœur Georges Marie Azar vaillante directrice de l’ensemble malgré son age. Elle est entourée par une équipe solide sur le plan pédagogique et pour l’organisation matérielle. Dans la délégation qui nous reçoit, le délégué des parents des élèves. Nous mesurons l’extraordinaire fragilité économique de cet ensemble scolaire de plus de mille élèves et combien il est nécessaire dans la mesure du possible de le soutenir. Les enseignants ont toutes les peines du monde à joindre les deux bouts ne serait-ce que pour pouvoir se rendre au collège à cause du prix de l’essence. Les familles scolarisées à St Elie ne sont pas des familles riches, elles ne peuvent pas payer en « fresh » monnaie. Le délégué des parents d’élève est très inquiet pour la rentrée.
Nous sommes chaleureusement remerciés pour l’aide apportée par le diocèse de St Etienne.
Nous faisons ensuite une visite rapide de l’établissement surpris par le nombre d’enfants accueillis pendant cette période de vacances avec des activités multiples.
Le Père Sami est connu des enfants et des enseignants. On remarque la bonne intégration de cet établissement dans la vie ecclésiale de Batroun et de sa région. L’enseignement catholique ici n’est pas un « à coté » de la vie de l’Eglise, il en est le cœur et l’âme, puisqu’il s’agit de la formation des enfants et des jeunes. Les mouvements d’Eglise trouvent naturellement leur place dans la vie du collège. On sent une forte solidarité de tous, parents, enseignants, congrégation, paroisse, pour le maintien de l’excellence de l’enseignement et pour la stabilité de cette école dans cette période tourmentée. C’est une fierté pour nous d’être modestement associés dans le cadre du jumelage à cette mission. Nous verrons comment l’organiser pour la pérenniser.
- B – Le collège Saint Etienne des Sœurs des Saints Cœurs à Batroun
Ce collège est situé tout à coté de la cathédrale Saint Etienne de Batroun… un bâtiment moderne de cinq étages tout près du port. Nous sommes reçus par Sœur Jacqueline Ajjan, directrice, et par plusieurs personnes de son équipe. C’est l’occasion pour Medhi de faire connaissance et d’apporter la contribution résultant de la collecte de Carême du lycée Sainte Marie – la Grand Grange de St Chamond.
Après une présentation des deux établissements, nous esquissons ce que pourrait être un jumelage des deux établissements dont la collecte de carême est la première étape. Nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’échange, et que Sainte Marie de St Chamond a à recevoir aussi du collège Saint Etienne de Batroun sur les plan pédagogiques et spirituels. La participation des deux établissements à la spiritualité ignatienne devrait aider à trouver les bonnes formules. On parle de déplacement de l’équipe de direction de St Chamond dans les prochains mois pour une meilleure connaissance réciproque. Medhi propose de garder les trois adjectifs comme base de la démarche, un jumelage spirituel, fraternel et solidaire. Tout reste à faire mais il y a une formidable attente de la part de cet établissement de Batroun
- C – Le collège des Pères capucins
Nous sommes reçus par le Père Abdallah Nfeily, un peu en retrait, et c’est la directrice qui nous présente avec fierté son établissement et son équipe. On est dans un établissement plus populaire et plus masculin… L’abondance des coupes sportives dans l’entrée signale l’importance du sport dans la pédagogie de cette maison. Là encore, l’effort et l’excellence sont les maîtres mots de la démarche pédagogique
Là aussi les besoins sont immenses et les inquiétudes très semblables à celle des deux autres établissements. Nous voyons que l’aide qui arrivera par le biais de l’œuvre d’Orient sera bienvenue.
La visite de ces trois établissements nous encourage à poursuivre la démarche initiée avant Noël 2021 pour soutenir les écoles de Batroun. Nous pensions initialement aider les petites écoles de village. En fait, elles ne sont que deux, celle de Tanourine bien suivie par le curé, le Père Tanios, vicaire général et le Père Mounir et celle tenue par les sœurs maronite de la Sainte Famille à Ebrine qui accueille un certain nombre d’orphelins et des enfants de familles très démunies. Le collège St François Régis de St Genest Malifaux a fait une collecte pour cette école au moment du Carême.
Ces trois visites, bien rapides, nous montrent cependant le bienfondé de notre action de soutien à la scolarisation des enfants et des jeunes dans le cadre des écoles catholiques de Batroun
Nous remercions l’œuvre d’Orient qui nous permet, de mobiliser le diocèse pour cet objectif, les personnes physiques peuvent ainsi obtenir une déduction fiscale très appréciée! Le jumelage entre Sainte Marie – La Grand Grange à St Chamond et le collège St Etienne de Batroun, préfigure, nous le souhaitons d’autres partenariat direct entre établissements. Au cours de notre visite, nous avons repéré d’autres domaines que notre jumelage diocésain pourrait soutenir.
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En quittant le Liban, nous nous sentons encore plus porteur du message de notre jumelage dans le diocèse de St Etienne. Jumelage spirituel mais qui depuis ces derniers mois ne peut pas ne pas répondre aux besoins criant d’aide pour la formation des enfants et des jeunes de Batroun.
Nous aurons à renouveler cette dynamique dans les jours de la rentrée. L’amitié et la confiance, nous étions trois à en témoigner, c’est aujourd’hui au comité du jumelage, au presbyterium, et à l’ensemble du diocèse de le relayer.
Père Louis Tronchon
Responsable du comité de jumelage